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SERGE LEPAGE, DIRECTEUR DU RATHO, STATION D'EXPÉRIMENTATION DE LA RÉGION RHÔNE-ALPES. « Il faut que les professionnels se mobilisent »

PHOTO : VALÉRIE VIDRIL

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Que vous inspire le Trophée de l'homme d'action qui vous a été attribué en juin (*) ?

La vie m'a appris que la persévérance est une qualité et qu'un jour elle peut être reconnue. Cette reconnaissance tardive de mes pairs me laisse des regrets, notamment sur certains sujets que je pensais novateurs : la manutention robotisée, les cultures hydroponiques à étage, la multiplication végétative en chambre climatique, la mécanisation de la pépinière, qui ont été mises au placard par les instances technocratiques. Je voudrais dédier cette récompense à toute cette génération de techniciens vulgarisateurs qui vont sur le terrain apprendre et comprendre avant de conseiller.

Vous ferez bientôt valoir vos droits à la retraite, quel regard portez-vous sur ces dernières années ?

Je ne ressens plus cet enthousiasme et cette passion qui animaient mes professionnels. Une certaine résignation s'est installée. Tout devient compliqué, bureaucratique. La survie de l'entreprise est en jeu. Il faut se réinventer et rebondir pour ne pas sombrer dans la routine et la morosité. Notre filière a besoin de sang neuf. À l'origine, j'étais fait pour le terrain, j'ai aimé mon métier, et être un catalyseur d'idées. Il est impossible d'obtenir un vrai consensus sur les utopies, j'ai toujours été à contre-courant face au perpétuel "ça ne marchera jamais" !

Aujourd'hui, je suis englué dans la paperasse qui m'empêche d'initier de nouvelles prospectives. Avant, les scientifiques étaient présents sur le terrain, nous jugeaient sur nos résultats et nous accompagnaient. Le temps en réunion est stérile et improductif et je hais la nouvelle expression « ingénierie administrative » car on parle peu de technique. Pourquoi être remis en cause systématiquement par des gens qui n'ont jamais mis les pieds sur le terrain ? L'inflation des charges salariales et des fournitures est également un frein à la performance économique. Il suffit de comparer les charges annuelles et vous êtes édifié. Je râle quand je vois qu'il me faut vendre 150 000 plantes pour régler les charges MSA. Comment demander à quelqu'un d'être aussi performant qu'un robot ? L'agriculture mériterait un Smic allégé au niveau des charges, car beaucoup d'emplois ne sont pas pourvus.

Comment analysez-vous les difficultés de la filière ?

Le manque de compétitivité des entreprises, la raréfaction du marché, l'absence d'innovation majeure, le manque de lisibilité du marché de promotion et d'animation sur le terrain sont des causes possibles qui, accumulées, détériorent le contexte économique. La nature fait toujours rêver, mais peu de monde y consacre du temps car c'est contraignant, fatiguant et ringard, mais jouissif et sublime lorsque l'on n'a qu'à se rouler dans l'herbe ou grappiller dans le potager. Il faut donc reconnecter nos jeunes citoyens à la nature par leur smartphone pour en faire de nouveaux jardiniers.

Une de vos actions emblématiques, les essais pour le fleurissement, n'a pas obtenu de financement cette année. En êtes-vous surpris ?

Je suis abasourdi car on ne détruit pas un emblème de la France. Le fleurissement moderne que nous avons aidé à faire évoluer avec les bacs à mèche, minijardins hydroponiques, pots biodégradables, toitures, terrasses et murs végétalisés, contribue à créer une ambiance végétale qui participe à l'image touristique et à l'ambiance poétique de nos villes et villages. Derrière cet emblème, toute une filière génère de l'activité, un lien social. Il faut que les professionnels se mobilisent et ne se laissent pas déposséder de leur coeur de métier.

Quelles sont les attentes des collectivités, qui ont toujours été fortement impliquées dans votre station ?

L'agroécologie envahit la ville, le fleurissement traditionnel est montré du doigt, trop gourmand en main-d'oeuvre, en budget, en eau. Pourtant, des solutions existent pour réduire la maintenance, les traitements et les herbicides. La tendance à revenir aux fleurs locales s'amplifie. On pense que la nature va régler seule les problèmes. Fausse bonne idée. À chaque lieu, son jardin ; l'uniformité n'existe pas. À chaque terroir, son climat, son identité agropédologique. En ville, le hors-sol va s'imposer. Mon slogan est de rapprocher la plante de sa ressource en eau de pluie. Sans eau, il n'y a pas de vie et on la gaspille, on s'empresse de l'évacuer dans les égouts alors qu'il en tombe tant du ciel chaque année ! Il faut intégrer d'office le stockage de l'eau de pluie dans les constructions. C'est à l'État d'être précurseur dans les bâtiments publics et d'embaucher des jardiniers formés et non des techniciens de surface, car il faut aimer les fleurs avant de les cultiver.

Comment imaginez-vous l'avenir ?

Paradoxalement il n'y a jamais eu à travers le monde autant de constructions de surfaces de serre. La ferme urbaine se profile à l'horizon. La technicité sous serre est seule capable d'innover à proximité des villes en matière d'accroissement de nouvelles sources alimentaires. Il faut prendre en compte l'attente sociétale en matière de produits frais et de jardins urbains. L'objectif de sécurité alimentaire invite désormais les horticulteurs à exploiter le potentiel de l'agroécologie mis au point au sein de l'Astredhor Rhône-Alpes dans le domaine de l'économie circulaire. L'unité de bassin de la région a opéré en 2015 une reconversion des entreprises horticoles vers la production de fibres végétales et de protéines. Je n'ai pas envie que mes petits-enfants connaissent un jour les tickets de rationnement à la vitesse où disparaissent les terres labourables. Le recours à l'hydroponie pour ces cultures pourrait contribuer à renforcer la sécurité alimentaire avec des impacts climatiques et environnementaux réduits.

Quelle y sera la place de votre région ?

Historiquement, cette région est une terre de prédilection en matière de botanique, d'obtenteurs, de marchands de graines et d'horticulteurs. Mais la ville a fini par tuer l'horticulture créatrice et innovante. La rose reste l'emblème de Lyon (69), mais les producteurs ont dû migrer hors du département. La nouvelle génération devra faire preuve d'imagination et accompagner davantage son produit, quitte à le transformer pour pouvoir atteindre son client connecté. Le secteur géographique ayant un fort potentiel touristique, les villes soutenues par la région ont toujours fait évoluer l'accueil, l'embellissement, la gastronomie. Sans son appui, le Ratho n'existerait pas. Je souhaite néanmoins que les forces interprofessionnelles se rassemblent afin d'éviter la multiplicité des structures sporadiques issues du monde associatif, qui s'autorisent à parler au nom des professionnels.

Propos recueillis par Pascal Fayolle

(*) Le Lien horticole n° 936 du 8 juillet 2015, p. 4.

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